« Les jeunes ne savent pas comment qualifier le soutien qu’ils donnent »

01 Mai 2024

« Les jeunes ne savent pas comment qualifier le soutien qu’ils donnent »

Sara Guilbault-Boudreau est agente de sensibilisation et de soutien dans le cadre du projet Aider sans filtre et intervenante jeunesse à La Passerelle. Avec une trentaine d’autres jeunes adultes de moins de 35 ans, Sara travaille à rejoindre d’autres jeunes, proches aidants d’un parent, d'un frère, d'une sœur, d'un ami ou d'une amie présentant des troubles de santé mentale.

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Qu’est-ce qui t’a amenée à ce rôle d’agente de sensibilisation et de soutien dans Aider sans filtre?

Je travaillais déjà à La Passerelle à Nicolet quand on m’a parlé du projet Aider sans filtre. Je me suis rendue compte que ça me rejoignait. J’ai un petit cœur d’enfant et je bouge beaucoup dans la vie. J’ai besoin d’aller sur le terrain, de voir des gens, d’être en action et de sortir du cadre du bureau.

Peux-tu m'expliquer le projet?

Aider sans filtre, c’est aider les jeunes entre 12 et 29 ans dans leurs vulnérabilités. Ils normalisent parfois des choses qui ne sont pas normales, comme assurer un rôle de parent (on parle de parentification) ou développer une codépendance avec un parent ayant une problématique de santé mentale.

Le projet consiste à les sensibiliser à ce qu’est la santé mentale et à son impact sur leur vie. Le rôle des agents de sensibilisation et de soutien est de les aider à se ramener à ce qu’ils sont, à ce qu’ils peuvent faire pour être en bonne santé, physique ou mentale et à se découvrir en tant qu’être humain à part entière. Je leur explique même parfois ce que c’est qu’être un enfant! Les ados ne savent souvent pas ce qu'est la santé mentale. Plus on commence jeune à leur parler sans filtre de santé mentale, de troubles mentaux, de proche aidance, plus ils sont sensibilisés et ouvrent les yeux. J’ai espoir de semer une petite graine qui les aidera à s’épanouir.

Que passe-t-il dans la vie de certains de ces jeunes? Un exemple?

Parfois très jeunes, ils endossent un rôle de parent qui peut perdurer à l’adolescence. Ils enfilent une mission de sauveur, même auprès de leurs amis, dès qu’ils repèrent certains traits qui ressemblent à la personne dont ils prennent soin. J'essaie de les sortir de cette impasse qui les fait développer une forme d’anxiété.

Je pense à une jeune fille. Elle se dirige vers un autre enfant qui est en train de descendre sans aucun problème d’une structure de jeu, en lui disant : « attends, je vais t’aider à descendre! » Elle materne... Cette fillette prend soin de sa maman. Elle s'inquiète pour tout ce que tout ce qui pourrait générer un problème : prise de médicaments, crise, etc. Elle vit beaucoup d’anxiété : c’est une peur de perdre à nouveau sa mère atteinte d’un trouble de personnalité limite. À l’école, elle subit beaucoup d’intimidation. Les autres savent que sa mère a été indisponible et hospitalisée plusieurs mois. Présentement, sa mère va bien. Si on lui dit que sa mère fait son possible pour bien aller parce qu’elle tient à sa fille, elle se renferme pour refouler ses émotions.

Ces jeunes se reconnaissent-ils comme proches aidants?

Si je dis à un jeune qu'il est proche aidant, ça ne marche clairement pas. En fait, ils ne savent pas comment qualifier le soutien qu’ils donnent, parce qu’ils n’ont pas le choix et que pour eux, c’est normal. Ils pensent que si tu es proche aidant, c'est que tu prends la décision de l’être, tandis que quand tu vis avec la personne aidée, tu n’as pas le choix.

Alors, je leur parle des impacts sur leur vie, j’essaie de recadrer, de démystifier les différents rôles, de leur faire comprendre ce qu’ils font de plus qu’un autre enfant. Je leur dis que dire à son parent : « il est 7 h, il faut que tu prennes ta médication » n’est ni normal ni leur responsabilité. J’utilise une grille de CAP santé mentale détaillant les tâches selon l’âge de l’enfant. Je suis souvent surprise à quel point ils ont arrêté de voir leurs amis par manque de temps.

Quelle est leur façon de demander de l’aide?

Bien souvent, ils ne demandent pas d’aide, ou alors ponctuellement. Quand je fais de la sensibilisation dans les maisons de jeunes, il arrive qu’un adolescent me demande s’il peut me parler de sa situation. Alors, si c’est là, c’est là ; on se parle et si je détecte qu’il y a un besoin d’aide, je lui donne ma carte professionnelle. Ça se glisse bien dans une poche sans que tout le monde le voit ou porte un jugement. Je dois faire beaucoup de présentations et siéger sur plusieurs comités pour faire connaître Aider sans filtre et recueillir des référencements, sans quoi les jeunes ne viendraient pas vers nous. Les jeunes dans la vingtaine, eux, nous contactent plus facilement.

Comment être agente de sensibilisation et de soutien interagit-il avec ton travail d'intervenante jeunesse?

La sensibilisation ne mène pas systématiquement à une intervention. Avec Aider sans filtre, j’ai compris que si un jeune vient me parler de sa situation, c’est déjà une forme de soutien. L’écouter, c’est intervenir. Je ne l’avais pas vu comme au départ! Être à l’écoute fait partie intégrante de mon rôle d’agente de sensibilisation et de soutien. L’écoute fait partie de moi et parfois, les jeunes ont juste besoin de ça.

Jeu Sara Guilbault-Boudreau

Quels outils utilises-tu?

Dans Aider sans filtre, je mets ma créativité à l’œuvre en faisant de la conception de matériel visuel et de jeux. Je me suis mise à la place des jeunes : ils aiment s’amuser et gagner! Pour briser la glace, j’ai créé un jeu qui s’appelle « Vérité et actions ». Les cartes « Vérité » abordent la santé mentale, les troubles mentaux, la gestion des émotions et la proche aidance. Les actions, par exemple, consistent à faire écouter une musique qui met de bonne humeur ou à dire à une personne ses qualités. Je suis partie de zéro et j’y ai consacré beaucoup de temps. J’ai développé plusieurs activités et les ai partagées avec les agents de sensibilisation et de soutien d’Aider sans filtre dans notre communauté de pratique.

Quels sont les défis?

Le plus gros défi est l’adaptation à l’âge. Rencontrer un jeune de 12 ans et un autre de 20 ans ne nécessite pas la même vulgarisation de l’information.

Un autre défi est le vaste territoire de la MRC de Nicolet-Yamaska et de la MRC de Bécancour. Mon siège principal est à Nicolet. Si une adolescente est à Sainte-Sophie de Levrard, elle ne viendra pas, c’est à moi de me déplacer!

Je dois aussi travailler avec l’ambivalence des jeunes. Ils ne veulent pas nécessairement sortir de leur zone de confort. Il peut être confrontant de se faire dire que ce qu’ils vivent n’est pas normal. Quand je leur parle, je suis transparente et authentique. Je leur confie mes propres expériences; il y eu dans mon entourage des problèmes de santé mentale. C’est comme ça que je fonctionne. Je pense que quel que soit le type d’intervention ou la personne à rencontrer, la transparence, c’est gagnant!

Un grand merci à Sara Guilbault-Boudreau pour son énergie contagieuse! Merci aussi à Maude Lupien-Montesinos de CAP santé mentale pour les informations sur le projet. À la fin de la deuxième année du projet, 13 147 jeunes avaient été sensibilisés et 1 018 jeunes soutenus. L’Appui pour les proches aidants est fier de contribuer au projet Aider sans filtre, une initiative en santé mentale par et pour les jeunes, par un montant de 1,7 million $ sur 5 ans.

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