Chaque jour est un défi, mais aussi une opportunité de vivre un petit bonheur. Les visites au CHSLD où vit Yves sont devenues des occasions précieuses. Parfois, nous écoutons simplement de la musique ensemble ou je lui lis un livre. On retourne aussi dans nos souvenirs, on était des foodies, on partage une histoire en savourant une collation que je lui apporte.
J'ai dû apprendre à prendre soin de moi aussi. J’apprends à m’écouter et mettre des limites avant de m’épuiser.
Au début, c'était difficile. Je me sentais coupable. Mais j'ai compris que c'était vital. Je vais au gym, je fais des sorties entre amies, je lis. Je vais aussi passer du temps avec mes petits-enfants, leur énergie me fait du bien. Même quand Yves n'est pas là, je sens comme un vide autour de moi. Je me cherche un peu. C'est fou à quel point nous sommes liés, lui et moi.
Ma nouvelle réalité m'a profondément transformée. J'ai découvert des ressources en moi que je ne soupçonnais pas : une patience infinie, une créativité pour trouver des solutions, une force pour affronter chaque jour. J'ai appris à jongler entre les rendez-vous médicaux, les soins quotidiens, et la gestion de notre vie. C'est comme si j'étais devenue une version plus résiliente de moi-même. Comme l'écrivait Albert Camus : "Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été." Cette phrase est devenue mon mantra. Je la lis tous les jours, pour me rappeler que même dans les périodes les plus sombres de notre parcours avec l'Alzheimer, il y a toujours une lumière en nous, une force pour continuer.
Être proche aidante, c'est apprendre à vivre dans le présent. Hier est déjà oublié, demain est trop loin. Nous vivons dans l'ici et maintenant, et c'est peut-être le plus beau cadeau que cette épreuve nous ait fait. Nous vivons des choses que nous n'aurions probablement jamais vécues ou dites avant la maladie.
Il y a des jours difficiles, c’est certain. Des jours où j'ai du mal à respirer tant c'est lourd. Mais il y a aussi ces instants de grâce, ces secondes où Yves me regarde et me dit quelque chose de touchant. Je note ces petites phrases, ces mots inattendus dans un journal. C'est une façon de les garder précieusement, de ne pas les oublier. Je recommande à tous les proches aidants de faire de même. Ces notes deviennent des trésors avec le temps. Et quand je les relis, je souris et ça me permet d’accepter, ça m’apaise.
La Société Alzheimer et l'Appui pour les proches aidants ont été mes bouées de sauvetage. Grâce à eux, j'ai pu construire un véritable "coffre à outils" pour faire face aux défis quotidiens. J'ai aussi appris à m'accorder des périodes de répit.
Notre vie ressemble parfois à une mélodie inachevée. Yves et moi, nous étions des passionnés de la musique jazz. Aujourd'hui, notre partition a changé, mais la musique continue. Quand nous partageons un instant ensemble, en pratiquant l’art de chanter sans parole, même dans le silence, je sens que notre mélodie persiste, par-delà les mots et les souvenirs qui s'estompent. C'est une composition nouvelle, inattendue, mais qui porte en elle toute notre histoire.
Certains pourraient penser que c'est une vie diminuée. Mais chaque jour avec Yves m'apprend quelque chose de nouveau sur l'amour, sur la vie. Il me fait prendre conscience combien il est important de prendre soin de soi, que la vie est précieuse ici, maintenant, et de réaliser tout l’amour qui m’entoure.
Je m'amuse à lui chanter "Bonne fête" peu importe le jour, parce que c'est une chanson joyeuse, et il me sourit. Ses yeux s'illuminent quand j'entre dans la pièce - ces petits gestes valent tous les mots du monde. Notre amour s'exprime différemment maintenant, mais il n'en est pas moins profond. C'est un amour qui transcende la maladie, qui trouve sa force dans les petits gestes du quotidien.
Lyne