« Hier est déjà oublié, demain est trop loin », l'histoire de Lyne

28 octobre 2024

« Hier est déjà oublié, demain est trop loin », l'histoire de Lyne

Lorsque son conjoint a reçu le diagnostic de maladie d'Alzheimer précoce, c'est tout l'univers de Lyne qui a basculé. Elle a réinventé son quotidien pour enchanter les moments passés auprès de son conjoint. Elle nous livre un témoignage puissant et résilient.

28 octobre 2024
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J’ai appris à communiquer autrement, j’apprends à écouter le silence.

J'ai longtemps hésité à partager notre histoire. Pas seulement parce que c'est compliqué, que ça remue des souvenirs et des périodes difficiles, mais surtout parce que je ne voulais pas qu'on retienne l'image d'une proche aidante malheureuse ou misérable. Notre parcours est jalonné de défis, c'est vrai, mais il est aussi parsemé de petits bonheurs, d'instants lumineux qui donnent un sens à tout ça. C'est de ces éclats de vie dont je veux surtout vous parler.

Il y a sept ans, la vie d'Yves et la mienne ont basculé. À 63 ans, mon mari a reçu un diagnostic d'Alzheimer précoce. Avec le recul, je réalise qu'il y avait des signes depuis longtemps, mais je ne les avais pas reconnus. Je me souviens de ce Noël où Yves, assis par terre avec nos petits-enfants, n'arrivait pas à placer les pièces d'un casse-tête simple. Il avait de plus en plus de mal à prendre des décisions, me demandant toujours de choisir pour lui au restaurant. Yves a étudié en finances, il excellait en calcul mental rapide, un calcul simple devenait compliqué. Ces petits détails, je les avais mis sur le compte du stress, de la fatigue, mais aussi un horaire chargé, la vie qui va vite. Je ne savais pas. Quelques mois plus tard, une chute accidentelle a aggravé son récent diagnostique d’Alzheimer précoce. Du jour au lendemain, notre quotidien s'est métamorphosé. Yves n'allait plus rentrer à la maison. Cette réalité reste encore difficile à accepter aujourd'hui. J'étais sonnée, perdue. Comment allais-je gérer tout ça ? Comment pourrais-je accompagner Yves sans me perdre moi-même ?

Au début, je ne savais pas quoi dire, quoi faire. J'étais anxieuse à chaque visite. Mais avec le temps, j'ai appris. J’ai appris à communiquer autrement, j’apprends à écouter le silence. Les mots ont moins d'importance maintenant, on se tient par la main, et les émotions restent. Parfois, Yves me surprend avec une phrase inattendue. Quand je lui demande s'il aime sa crème glacée, il me répond : "C'est bon avec toi." Ces petites phrases sont des trésors qui me coupent le souffle.

La musique est devenue notre langage secret. Yves était un audiophile, il a toujours aimé danser, et même si nos pas sont moins assurés aujourd'hui, nos cœurs battent toujours au même rythme quand nous dansons ensemble. Je le vois se lever de son fauteuil, prendre sa position, et là, on danse. Collés. C'est dans ces instants-là que je sens que nous sommes encore nous, malgré tout.

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Le bonheur, un jour à la fois

Chaque jour est un défi, mais aussi une opportunité de vivre un petit bonheur. Les visites au CHSLD où vit Yves sont devenues des occasions précieuses. Parfois, nous écoutons simplement de la musique ensemble ou je lui lis un livre. On retourne aussi dans nos souvenirs, on était des foodies, on partage une histoire en savourant une collation que je lui apporte.

J'ai dû apprendre à prendre soin de moi aussi. J’apprends à m’écouter et mettre des limites avant de m’épuiser.

Au début, c'était difficile. Je me sentais coupable. Mais j'ai compris que c'était vital. Je vais au gym, je fais des sorties entre amies, je lis. Je vais aussi passer du temps avec mes petits-enfants, leur énergie me fait du bien. Même quand Yves n'est pas là, je sens comme un vide autour de moi. Je me cherche un peu. C'est fou à quel point nous sommes liés, lui et moi.

Ma nouvelle réalité m'a profondément transformée. J'ai découvert des ressources en moi que je ne soupçonnais pas : une patience infinie, une créativité pour trouver des solutions, une force pour affronter chaque jour. J'ai appris à jongler entre les rendez-vous médicaux, les soins quotidiens, et la gestion de notre vie. C'est comme si j'étais devenue une version plus résiliente de moi-même. Comme l'écrivait Albert Camus : "Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été." Cette phrase est devenue mon mantra. Je la lis tous les jours, pour me rappeler que même dans les périodes les plus sombres de notre parcours avec l'Alzheimer, il y a toujours une lumière en nous, une force pour continuer.

Être proche aidante, c'est apprendre à vivre dans le présent. Hier est déjà oublié, demain est trop loin. Nous vivons dans l'ici et maintenant, et c'est peut-être le plus beau cadeau que cette épreuve nous ait fait. Nous vivons des choses que nous n'aurions probablement jamais vécues ou dites avant la maladie.

Il y a des jours difficiles, c’est certain. Des jours où j'ai du mal à respirer tant c'est lourd. Mais il y a aussi ces instants de grâce, ces secondes où Yves me regarde et me dit quelque chose de touchant. Je note ces petites phrases, ces mots inattendus dans un journal. C'est une façon de les garder précieusement, de ne pas les oublier. Je recommande à tous les proches aidants de faire de même. Ces notes deviennent des trésors avec le temps. Et quand je les relis, je souris et ça me permet d’accepter, ça m’apaise.

La Société Alzheimer et l'Appui pour les proches aidants ont été mes bouées de sauvetage. Grâce à eux, j'ai pu construire un véritable "coffre à outils" pour faire face aux défis quotidiens. J'ai aussi appris à m'accorder des périodes de répit.

Notre vie ressemble parfois à une mélodie inachevée. Yves et moi, nous étions des passionnés de la musique jazz. Aujourd'hui, notre partition a changé, mais la musique continue. Quand nous partageons un instant ensemble, en pratiquant l’art de chanter sans parole, même dans le silence, je sens que notre mélodie persiste, par-delà les mots et les souvenirs qui s'estompent. C'est une composition nouvelle, inattendue, mais qui porte en elle toute notre histoire.

Certains pourraient penser que c'est une vie diminuée. Mais chaque jour avec Yves m'apprend quelque chose de nouveau sur l'amour, sur la vie. Il me fait prendre conscience combien il est important de prendre soin de soi, que la vie est précieuse ici, maintenant, et de réaliser tout l’amour qui m’entoure.

Je m'amuse à lui chanter "Bonne fête" peu importe le jour, parce que c'est une chanson joyeuse, et il me sourit. Ses yeux s'illuminent quand j'entre dans la pièce - ces petits gestes valent tous les mots du monde. Notre amour s'exprime différemment maintenant, mais il n'en est pas moins profond. C'est un amour qui transcende la maladie, qui trouve sa force dans les petits gestes du quotidien.

Lyne

Crédit photos

Jacinthe Michaud, photographe

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