Avec les pères proches aidants, les choses se passent beaucoup dans l’informel...

27 septembre 2022

Avec les pères proches aidants, les choses se passent beaucoup dans l’informel...

Éducateur spécialisé, Alexandre Legault est intervenant paternité à L’Étoile de Pacho, un réseau d’entraide pour parents d’enfants handicapés. Il est aussi proche aidant de son frère atteint de trisomie 21. Discussion avec lui autour du thème de la proche aidance au masculin.

27 septembre 2022
père d'un enfant handicapé

Pouvez-vous nous présenter L’Étoile de Pacho?

C’est un organisme de la grande région de Montréal créé par notre directrice, Nathalie Richard. Mère d’un enfant lourdement handicapé, elle sentait que les parents d’enfants qui nécessitent des soins importants tout au long de leur vie avaient besoin de plus de soutien. Les services publics, engorgés, arrivent mal à répondre aux nombreuses demandes de ces parents. Depuis 9 ans donc, des intervenantes de L’Étoile de Pacho soutiennent les parents selon une approche par les pairs; la grande majorité des employés sont eux-mêmes parents d’enfants lourdement handicapés ou à besoins particuliers. Les parents ont accès à une intervenante pour soutenir la famille et à des services de jumelage avec des gardiennes spécialisées ayant des compétences spécifiques. Changer une couche d’un enfant de 12 ans, il faut savoir le faire… Des intervenantes font des recherches pour les familles. Un programme de vie associative propose des activités familiales, des activités pour les papas et d’autres, uniquement pour les mamans. Il y a des groupes de discussion dans lesquels les parents peuvent échanger, se donner des conseils et partager des idées. Ça fait un grand bien aux parents d’avoir l’oreille de personnes qui partagent cette même réalité.

À L’Étoile de Pacho, que fait un intervenant paternité au quotidien?

Quand je suis arrivé, j’ai été chargé d’organiser des groupes de discussion pour papas. Avant ça, si certains participaient aux activités familiales, ils étaient bien peu nombreux dans les groupes de discussion. J’ai cherché la meilleure approche et j’ai compris qu’avec les pères, les choses se passent beaucoup dans l’informel. Il m’est alors venu l’idée d’organiser des activités pour et entre papas. Mon rôle est donc d’organiser ces activités (randonnée, tennis, squash, bière dans une microbrasserie, activités virtuelles) et d’être à leur écoute. Je m’assure de leur bon déroulement, et j’alimente la discussion pendant les collations. J’offre également un soutien personnalisé auprès de quelques pères. Je joue un rôle de valorisation de la paternité auprès des intervenants de L’Étoile de Pacho. À ce jour, je suis le seul homme employé dans l’organisme.

Quelles étaient les difficultés rencontrées par les papas?

L’approche de l’organisme était très axée sur les mères, parce que plusieurs mamans prennent en charge de nombreux aspects de la vie de leur enfant. Comment, alors, adapter notre approche pour avoir accès aux pères? Comment faire pour que le père se sente inclus dans nos interventions? Je collabore avec le Regroupement pour la valorisation de la paternité, qui nous a accompagnés, cette année, pour adapter nos interventions et les pratiques de L’Étoile de Pacho à la réalité des pères. Un sondage récent a révélé que 50 % des pères perçoivent que les services offerts aux familles ne sont pas bien adaptés à leur réalité. Par exemple, quand ils vont avec la mère aux rendez-vous médicaux, c’est à la mère que le personnel de santé s’adresse surtout. Or pour que le père prenne la place qu’il est prêt à prendre, il faut qu’il se sente à l’aise de le faire.

Sur le site de L’Étoile de Pacho, il est écrit que « la détresse et l’épuisement sont des menaces constantes pour les parents d’enfants handicapés ». Y a-t-il une détresse spécifique aux pères?

Le congé parental est majoritairement pris par les femmes. À certaines périodes, notamment au cours des premières années de vie d’un enfant handicapé, les besoins de soins sont grands, les rendez-vous médicaux sont nombreux, et c’est souvent la maman qui s’en occupe. Des pères m’ont confié que c’est au moment de l’entrée à la garderie de leur enfant qu’ils ont commencé à davantage « vivre ce qui se passe ». Avant ça, ils se percevaient essentiellement comme des pourvoyeurs. La détresse et l’épuisement existent aussi chez les pères, mais peuvent apparaître plus tard, comme à l’entrée à la garderie à temps plein. Le père réalise alors que les choses ne vont pas bien et qu’il a besoin d’aide. Les hommes sont généralement moins en contact avec leurs émotions, ils ont moins tendance à en parler. Mes discussions avec les pères m’ont appris que ceux qui ne vont pas bien ne le montreront pas forcément.

Comment ces pères expriment-ils leur détresse? Comment arrivent-ils à dire ce qui ne va pas?

Les pères sont beaucoup dans les revendications sur les services qui sont donnés ou non à leur enfant ou auxquels ils n’ont pas accès. Ils expriment aussi leurs besoins de congé ou d’adaptations d’horaires de travail à leurs employeurs. Dans nos conversations, je remarque que les papas comparent aussi leurs compétences avec celles de leur conjointe, qui en fait déjà beaucoup depuis la naissance de l’enfant. Ils se demandent : « Suis-je capable de m’occuper de mon enfant? Ma conjointe va-t-elle me laisser prendre ma place, comme je le souhaite? » La paternité comme telle représente déjà un défi, alors quand on y ajoute à ça le handicap de son enfant et la complexité de certains soins… Autre aspect qui affecte beaucoup les pères : le choix d’activités à faire avec les enfants. Un père me disait regretter de ne pas pouvoir jouer au soccer avec son fils, alors que pour lui, c’est un sport important. On veut tous voir notre enfant s’accomplir dans une activité. Or le leur ne le pourra peut-être pas. Les mamans et les papas, même s’ils partagent les deuils, les défis et les réalités liés au handicap de leur enfant, les vivent bien différemment. Leurs rôles diffèrent également.

Ressentent-ils de la stigmatisation dans leur rôle de père d’un enfant handicapé?

Je pense aux fêtes ou activités familiales. Les maisons de l’entourage familial ne sont pas adaptées, la nourriture non plus. La famille ne comprend pas toujours les adaptations qui sont nécessaires. On ne peut pas faire les mêmes activités que les autres. Aller à la plage, par exemple, c’est toute une organisation! Il faut se protéger du soleil, le sable se prend dans les roues du fauteuil roulant… Les parents préfèrent parfois ne pas participer à ce genre d’activités, parce que le quotidien les épuise déjà. Je le remarque dans le milieu de travail, par exemple, lorsqu’un employeur refuse d’adapter l’horaire de travail pour permettre au papa d’accueillir son enfant à la sortie du bus. Alors oui, ces pères vivent de la stigmatisation.

On dit souvent que les hommes aiment aller directement dans le concret et ne veulent pas déranger leur entourage…

Depuis le début des activités pour papas, j'ai côtoyé une vingtaine d'entre eux. Je ne peux donc pas généraliser. Toutefois, je vois bien, dans nos discussions, que les pères ont besoin de réponses rapides. Les travailleurs sociaux et les services publics sont en manque de bras; ils font déjà beaucoup et ne peuvent en faire davantage. À L’Étoile de Pacho, les intervenantes apportent des réponses assez rapidement; nous communiquons entre intervenants pour ça. Nous sommes là pour répondre aux besoins et aux questions des familles.

La récente campagne du Regroupement pour la valorisation de la paternité a mis l’accent sur l’aide dont les pères ont besoin. Il y a un souci de valoriser la demande d’aide. Maintenant, les hommes sont-ils à l’aise avec ça? On peut faire un lien avec la stigmatisation dont on vient de parler. Je suis moi-même père et je suis abonné à plusieurs groupes de discussion sur Facebook sur thème de la parentalité et de l'organisation familiale. Ce sont presque exclusivement des mamans qui y participent. L'ouverture est présente, mais il reste encore du chemin à faire… Lorsqu’on demande de l’aide à notre entourage, bien souvent on s’adresse aux femmes, parce qu’elles sont considérées comme étant plus susceptibles d’accepter. Tout cela évolue. Demander un coup de main, pour un père, reste tout de même un défi.

À l’Appui pour les proches aidants, nous utilisons l’expression « parents proches aidants ». Comment résonne-t-elle dans votre pratique professionnelle?

Pour moi, un proche aidant est quelqu’un qui fait plus que ce qu’on ferait pour une personne qui n’est pas en perte d’autonomie ou en situation d’incapacité. Mon grand frère a la trisomie 21 avec une déficience intellectuelle moyenne. Il a donc besoin de soins particuliers et d'être en présence d'un adulte en tout temps. Depuis quelques années, j'aide ma mère dans les soins et la supervision de mon frère. Je m'approprie donc moi-même cette notion de proche aidance. Ce que je constate, en discutant avec ma mère, avec d'autres parents d'enfants ayant un handicap ou des besoins particuliers et avec mes collègues, c'est que la notion de parents proches aidants ne vient pas systématiquement avec le diagnostic. Les parents se considèrent parents avant tout. Ce n'est que plus tard qu'ils réalisent qu'ils ont eux aussi des besoins qui différent de ceux des autres parents qui ne vient pas cette réalité.

Dites-vous aux pères qu’ils sont proches aidants? Quelles sont les implications au niveau de l’intervention auprès d’eux?

Non, je n’ai jamais eu de discussion qui allait dans ce sens-là avec les papas. Il est vrai que d’utiliser cette notion de proche aidance pourrait faire prendre conscience à la personne de son rôle et de l’aide qui existe pour son bien-être et celui de sa famille. Je pense qu’il y a un avantage à se reconnaître et à être reconnu comme personne proche aidante. Ça encourage la discussion et une certaine ouverture : comme papa, c’est OK de demander de l’aide en ce moment, parce que je suis en surcharge émotionnellement, parce que j’en fais beaucoup à cause de la situation et de la condition de mon enfant.

Quels conseils donneriez-vous à un homme proche aidant pour l’aider à mieux son rôle?

De prendre son courage à deux mains et d’oser demander de l’aide. Les gens vont recevoir sa demande. Quand on va de l’avant, on est bien accueilli. Dans les services, les interventions ne sont peut-être pas encore tout à fait adaptées aux pères partout, mais ça va venir. Je pense à un formulaire qui existe depuis plusieurs années et auquel on vient d’ajouter une case à cocher, celle de « père »!

Quelles sont les qualités et les forces qu’on associe aux hommes dans leur rôle?

Parfois, le fait d’être moins émotif peut aider dans la prise de décisions familiales, pour essayer les choses, faire confiance, être pragmatique, sortir pour participer à telle ou telle activité, prendre un risque. Cette sortie à la plage, on va la faire, let’s go!

Le fait de tenir compte des hommes proches aidants a-t-il eu des répercussions sur les interventions auprès des mamans?

Oui, un gros wow auprès des membres et de l’équipe! Des papas sont là, visibles, et ils participent! Ça crée un certain engouement. On continue à adapter nos pratiques. Je crois que les interventions auprès des mamans ont été changées, selon ce que disent les intervenantes. Les mères sont contentes. Il y a davantage de place et de temps pour inclure les pères. Soutenir les pères, c’est aussi aider les mères – et, bien sûr, il faut aussi tenir compte des familles avec deux papas ou deux mamans! Les parents sont une équipe parentale, et la coparentalité est une notion qui est réelle et importante.

Que rêvez-vous de réaliser maintenant pour ces hommes proches aidants?

Avoir encore plus de pères présents. À long terme, je voudrais que les pères s’invitent entre eux et se créent leur réseau à eux, leurs propres groupes et plateformes de discussion. Oui, ce serait mon rêve!

Propos recueillis par Karine Cloutier, chargée de projets aux communications à l’Appui pour les proches aidants. Merci à Alexandre d’avoir ouvert la porte à cette discussion!

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