Des plans avec Noah

01 juin 2022

Des plans avec Noah

Ajustements, apprentissages, adaptations… Être père d’un enfant différent est un défi. Discussion avec Marc-Antoine Forand, coureur et père de Noah, enfant de 6 ans vivant avec la trisomie 21, qui partage avec nous ses petits secrets pour se préserver.

Marc-Antoine Forand  des plans avec Noah

Qu’est-ce que #courirpourNoah?

Au début de la pandémie, ma copine et moi avons décidé d’organiser une campagne de financement pour donner des sous au Regroupement de la trisomie 21, à Montréal. Le nom le dit, il s’agissait de courir pour notre garçon. Comme le jour de sa fête est le 21 juin; j’ai décidé de courir 21 heures! C’est ainsi qu’a commencé #courirpourNoah, sans idée précise pour la suite. À notre grande surprise, de nombreuses personnes ont embarqué avec nous, que ce soit pour courir, partager sur les réseaux ou faire des dons. C’était touchant de voir ça. L’idée était aussi de motiver les gens à s'entraîner. Certains faisaient là leur premier marathon, d’autres couraient quelques kilomètres tout en partageant leur expérience par #courirpourNoah sur les réseaux sociaux. C’était tout simplement pour faire parler de la trisomie 21.

Vous courez pour Noah. Courez-vous aussi pour vous-même?

Chaque course représente un dépassement personnel. Courir 160 km me paraît simple maintenant, bien que ça reste tout de même un gros défi. Je me demande chaque fois si je vais y arriver. La course est aussi une façon d’enseigner à Noah et à ma fille June qu’il est possible de repousser ses limites jour après jour. À première vue, les défis que je me lance semblent impossibles. Toutefois, si on les décortique, si on y croit et qu’on y met les efforts, on arrive à les relever. Je m’enseigne le dépassement : année après année, il faut recommencer l’entraînement malgré les doutes.

Dans un magnifique témoignage que vous avez écrit, vous qualifiez l’année suivant la naissance de votre fils de « rocambolesque ». Avec le recul, quel regard portez-vous sur cette période?

Quel que soit l’enfant, je crois que la première année est un peu complexe pour le père. Il se passe beaucoup de choses avec la maman. En tant que père, on ne peut pas faire grand-chose, à part être là pour soutenir son moral. Je devais être fort pour ma copine, Carolanne, l’appuyer du mieux que je pouvais dans cette aventure. Aller aux rendez-vous médicaux, essayer d’en apprendre le plus possible, voir comment nous allions construire notre vie et nous adapter. Nous avons rapidement mis de côté la tristesse qui a suivi l’annonce de la condition de Noah. Nous avons eu des deuils à faire, puis nous avons décidé que la mission de vie de notre cocon familial allait être d’être positifs, de nous adapter et de sensibiliser les gens à la différence en faisant du bruit autour de la trisomie 21.

Dans le même texte, vous écrivez au sujet de l’année no 2 : « J’essaie d’être un bon papa et [...] de devenir un spécialiste en tout… »

Avec Noah, il fallait consulter une panoplie de professionnels : orthophonistes, physiothérapeutes, etc. À chaque visite, il fallait écouter et tenter de rapporter cette expertise à la maison. Les spécialistes nous donnaient des devoirs, qui étaient très importants, parce que c’est à la maison que l’enfant progresse. Ça voulait dire constituer notre coffre à outils en même temps qu’apprendre à être parents. C’est peut-être dans ce sens que nous sommes devenus proches aidants. Pour nous tous, cette deuxième année a représenté énormément d’apprentissages.

Avec un enfant comme Noah, être un « bon papa » vient-il avec un lot d’exigences et de pression supplémentaire?

Oui, je me mets de la pression pour que tout autour de Noah soit « aligné » et se passe bien. Je me mets de la pression pour être un bon papa, pour être présent aussi bien physiquement que mentalement. Quand je suis avec Noah, je le suis à 100 %. La course me libère la tête des tracas que je peux avoir. Je suis un bon papa quand j’ai eu mon moment à moi, quand je fais un geste pour moi, quand j’ai un petit bonheur de quelques instants. Être un bon papa... C’est une question difficile… Je fais du mieux que je peux.

Vous utilisez beaucoup le verbe « essayer » dans le témoignage que vous avez écrit. Dans quelle mesure peut-on se donner, comme parent proche aidant, le droit d’essayer?

Peut-être qu’on se laisse moins de marge de manœuvre. On veut apprendre rapidement, parce qu’on veut que tout soit parfait. On se complique la vie. On se laisse moins le droit à l’erreur, surtout avec un enfant qui a des besoins particuliers. En fin de compte, l’enfant et le père doivent se donner du temps pour apprendre : Noah m’apprend, je lui apprends. C’est un échange et c’est du temps passé ensemble.

Comment réagissez-vous à l’expression « parents proches aidants »? Vous sentez-vous comme tels?

Aujourd’hui, Noah termine la classe à 14 h. Je vais donc aller le chercher et resterai avec lui tout l’après-midi. Le weekend, nous sommes davantage des « parents qui jouent ». Pendant la semaine, toutefois, nous essayons de garder pour lui un environnement structuré d’apprentissages, de continuer un peu ce qui se passe à l’école, en mettant notre chapeau de parent proche aidant et de professeur. Je trouve que l’expression de « parents proches aidants » illustre bien nos rôles de parents d’un enfant différent.

Quelles seraient vos suggestions aux pères d’un enfant qui a une trisomie 21 ou, plus généralement, qui est différent, pour se préserver?

Il faut se trouver un projet qui n’a pas nécessairement de fin en soi et qu’on peut répéter, avoir quelque chose qui nous allume, qui nous fait décrocher complètement, qui nous donne l’occasion de nous concentrer sur l’activité en question. En la pratiquant, tu ne penses pas à la lourdeur ni à la vie de famille; tu penses uniquement à ce que tu es en train de faire, à toi-même et à ce que tu ressens. C’est du temps pour soi, pour enlever son chapeau de parent et de proche aidant. Si le papa réussit ce décrochage complet, je pense que ça va l’aider à être un meilleur humain et à être plus heureux. J’aime beaucoup la musique et la photographie. La musique, surtout, est une grande passion pour moi. Je ferme les yeux et je me concentre sur ce que j’entends.

Comment voyez-vous l’arrivée de la majorité de Noah, de sa vie adulte et de son désir d’autonomie?

Nous y pensons, et ça donne un peu le vertige. Nous ne nous mettons pas la tête dans le sable par rapport à l’avenir. Notre petit secret est justement de ne pas trop envisager ce futur. Les plans que nous faisons actuellement vont changer selon l’évolution de Noah. Ça ne sert donc à rien de se projeter dans 10 ans, parce que bien des choses peuvent changer d’ici là. Carolanne et moi voulons qu’il soit heureux. Qu’il habite seul en appartement, avec des amis ou avec nous dans une maison bigénérationnelle, le plus important est qu’il soit épanoui et qu’il ait une vie sociale. Nous ne nous mettons pas de pression et nous ne faisons pas de plan « pour » lui. En temps et lieu, nous ferons des plans « avec » lui.

Que représente la fête des Pères pour vous?

Pour moi, c’est une journée de petites attentions, mais pas plus que ça! Une journée simple, une belle journée pour laquelle je n’ai pas d’attente particulière. Elle souligne que... je suis papa!

Quels sont vos projets?

Cet été, nous voyageons en famille dans l’Ouest canadien! La montagne est la grande passion de Noah. Alors, nous allons faire des randonnées, c’est sûr! L’an prochain, il va probablement y avoir une course pour souligner les sept ans de Noah et y avoir une autre campagne de financement pour #courirpourNoah.

Propos recueillis par Karine Cloutier, chargée de projets aux communications à l’Appui pour les proches aidants. Merci à Marc-Antoine Forand pour sa générosité et pour la photo qu’il nous a fournie!

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