La puce à l’oreille

01 avril 2022

La puce à l’oreille

L’organisme Relief, dont la mission est d’aider à vivre avec l’anxiété, la dépression ou la bipolarité, a récemment ajouté des groupes de soutien pour proches aidants à son offre de services.

Des groupes de soutien pour proches aidants en santé mentale

Discussion à bâtons rompus autour de cette nouveauté avec Angéline Roy-Hébert, intervenante en santé mentale.

Si je vous dis, « personne proche aidante », à quoi et à qui est-ce que cela vous fait penser?

À une panoplie de gens! Chaque fois qu’on reçoit quelqu’un à Relief, le sujet qui revient toujours dans l’entretien est l’entourage… ou l’absence d’entourage. J’ai été proche aidante moi-même, de plusieurs façons et à intensité variable, depuis l’âge de 12 ans. Ma mère venait de recevoir un diagnostic de maladie grave. En 2020, ma sœur, qui était de plus en plus présente au fil des ans, a repris le flambeau complètement, puisque moi, j’étais au chevet de notre fils le plus jeune, hospitalisé à Sainte-Justine. Ma mère est décédée en 2021. C’est un rôle très complexe. Quand je reçois un proche, je garde toujours en tête que, lorsqu’on aide une personne, c’est tout le système qui est autour de cette personne qui est aidé.

Pouvez-vous me raconter votre première intervention auprès d’une personne proche aidante? Qu’est-ce qui vous a frappée?

Je ne m’en rappelle pas, parce que je fais ce type d’interventions depuis longtemps! Le très grand dévouement des proches aidants me frappe toujours. Ils me disent : « Comment est-ce que je peux améliorer son fonctionnement et sa qualité de vie ? Dites-moi ce que je dois faire! » Je leur apprends à accompagner, à prendre la personne aidée par la main plutôt que de la porter sur leurs épaules.

Accompagner un proche atteint d'un trouble mental

Vous êtes « intervenante ». En quoi l’intervention diffère-t-elle quand il s’agit de proches aidants de personnes qui ont des troubles mentaux?

L’intervention se fait toujours en deux temps. D’abord, la personne proche aidante demande comment faire pour soutenir son proche. Nous proposons alors des ressources et leur donnons des suggestions. Dans un deuxième temps, nous lui demandons : « Comment allez-vous, vous, en ce moment? » Tous les proches aidants ne sont pas à l’aise dans cette étape de l’intervention, même si, la plupart du temps, la première réaction à cette question est positive. C’est souvent la première fois que cette question leur est posée. Les personnes sont émues, très touchées. En même temps, cette question met les personnes en contact avec une lourdeur, avec leurs difficultés et leurs besoins. La plupart d’entre eux se livrent. Rares sont les personnes qui ne veulent pas aborder cet aspect. Quand elles sentent une ouverture, qu’elles savent qu'elles ne seront pas jugées, cela se passe bien.

C’est de l’écoute, alors?

Je dirais que c’est une qualité d’accueil. Quand on est proche aidant, on croit souvent devoir répondre à tous les besoins de notre proche. C’est un mythe. Comme intervenante, je suis à l’écoute de qui vous êtes, de ce que vous traversez, de toutes vos émotions, agréables ou pas. En fait, cela dépasse l’écoute. Si cela reste au stade de l’écoute, il est possible que la personne proche aidante reste prise avec certains éléments et qu’elle ne sente pas qu’elle a pu avancer face à sa situation. C’est pour cela qu’à Relief, nous donnons de l’information, soit sur le rôle de proche aidant, soit sur les troubles mentaux, pour que la personne ait une perception plus juste, plus pointue de ce que sont les difficultés vécues par le proche. Après cette phase, que nous appelons « phase de psychoéducation », vient celle de la « réadaptation ». Elle donne des outils concrets et des stratégies pour le fonctionnement au quotidien et l’atténuation des tensions.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier? Quel a été votre cheminement?

J’ai un parcours un peu particulier. Quand j’ai fait mon bac en psychologie, j’étais déjà proche aidante. Lorsque j’avais 18 ans, mon grand-père et ma grand-mère sont morts l’un à la suite de l’autre. Ma sœur et moi n’avions plus personne. Alors, j’ai assumé ce rôle de proche aidante auprès de ma mère avec elle. La relation d’aide, je connais bien! J’ai fait mon baccalauréat à l’Université McGill, puis un certificat en gérontologie que j’ai adoré. J’ai entamé un doctorat, mais j’étais si occupée! Je devais m’occuper de ma mère, qui habitait avec nous, et de notre premier fils, qui a dû être hospitalisé plusieurs fois. Je me suis épuisée et n’ai jamais terminé mon doctorat. J’ai appris énormément en étant proche aidante. On ne pourra jamais sortir ça de moi. Ce rôle fait partie de moi, même si ma mère n’est plus là.

Que vous apporte le fait de côtoyer des proches aidants?

La capacité à aider l’autre m’interpelle : on aide une personne, une autre est touchée et cela se répercute comme des cercles concentriques. Nos groupes de soutien et nos ateliers mettent la personne au centre de ses choix de vie, de ses connaissances et de son action. Chaque personne devient un modèle capable d’en inspirer d’autres. Pour plusieurs, être proche aidant ne résulte pas nécessairement d’une décision réfléchie. Ce sont les contextes de la vie qui les amènent à endosser ce rôle et à se transcender. Côtoyer les proches aidants est extrêmement inspirant. J’ai énormément de respect et d’admiration pour eux. Je trouve que c’est une forme exceptionnelle de don de soi.

Pourquoi des groupes de soutien destinés aux proches aidants?

Les proches aidants font partie du mandat de Relief (anciennement Revivre) depuis longtemps. Bien avant mon arrivée, il y avait déjà des groupes de soutien pour proches aidants. Puis, c’est l’intervention individuelle qui a été privilégiée. Nous sommes revenus aux groupes de soutien en voyant la quantité de proches aidants avec des besoins. Le contexte de la pandémie a encore davantage mis leur rôle en lumière. L’intervention par groupe de soutien permet d’aborder des thèmes plus larges rejoignant davantage de personnes, de mettre des mots sur des réalités et de trouver ensemble des pistes pour « naviguer dans le réseau », trouver les ressources et les outils personnalisés qui conviennent le mieux.

Peut-être avez-vous joué un rôle dans ce retour des groupes de soutien, avec votre histoire personnelle?

Je ne sais pas trop! Je n’ai jamais caché mon parcours. Notre directeur général est lui-même proche aidant. Il est d’une très grande sensibilité face à cette question. À Relief, nous avons un œil très aiguisé sur la proche aidance. Les groupes de soutien permettent le partage des expériences, dans un espace où les proches aidants peuvent s’exprimer sans jugement. Les autres comprennent et sont dans la validation. Cela combat la culpabilité et l’isolement. Ils sont assis ensemble, tous proches aidants, et rien n’est écrit d’avance.

Certains troubles mentaux exigent-ils plus d’aide des proches que d’autres?

Je raisonnerais davantage en termes de sévérité des symptômes. Lorsque la personne est de moins en moins capable de fonctionner au quotidien, c’est là que la proche aidance apparaît, et elle augmente de plus en plus rapidement. On n’a pas le choix. La personne affectée va tomber, il faut la retenir. C’est souvent dans ces moments que les proches appellent Relief, en panique, demandant quoi faire avec un sentiment d’urgence et d’impuissance.

Beaucoup de personnes vivent avec, disons par exemple, un conjoint dépressif sans comprendre qu’ils sont des proches aidants…

Absolument. J’ai souvent fait remarquer à des personnes qu’elles sont proches aidantes et cela a été toute une nouvelle pour elles! Un mot sur une réalité portée depuis des années… La proche aidance est un concept qu’on a intérêt à faire connaître beaucoup plus dans la population en général. Quand on parle de santé mentale dans les actualités, il est surtout question d’anxiété. Or, un proche aidant qui accompagne une personne ayant un épisode d’anxiété, ce n’est pas à banaliser! La santé mentale a un urgent besoin d’être mieux comprise et la proche aidance, d’être mieux reconnue dans notre société. Quand tout cela fait partie de notre quotidien, on a besoin de validation et de reconnaissance.

Notre proche aidé peut avoir des hauts et des bas… et nous en faire vivre aussi. Comment, dans ces conditions, garder un bon « équilibre »?

C’est une bonne question. Si mon proche est bipolaire par exemple, cela peut vouloir dire vivre dans la stabilité pendant des années avant qu’apparaisse un nouvel épisode tout d’un coup. Les groupes de soutien permettent d’apprendre à naviguer dans cette réalité. L’objectif n’est pas nécessairement d’éliminer les hauts et les bas, c’est plutôt de ramener le tout à quelque chose qui soit plus confortable au quotidien. Une bonne astuce est de planifier des stratégies qui fonctionnent avec notre proche, pour être prêt en cas de phase aiguë. Si mon proche se fracture un membre, je vais à l’hôpital, car je ne sais pas faire un plâtre! C’est la même chose dans le cas de la santé mentale.

Se mettre la puce à l’oreille : un plan de stratégies en 10 puces, suggéré par Angéline

  • S’informer sur la problématique vécue par la personne aidée;
  • Protéger soi-même et son proche. À force de prendre les devants, parfois même d’en faire trop, on crée une relation qui peut nuire à la personne aidée comme à soi-même;
  • Demeurer entier, c’est-à-dire faire le maximum en gardant son équilibre et son autonomie;
  • Regarder ensemble la direction vers laquelle on veut se diriger et cheminer;
  • Connaître ce qui nous aide à conserver notre équilibre. Qu’est-il nécessaire à notre équilibre en tant que personne? L’hygiène de vie, le sommeil, la vie sociale, la santé physique?
  • Prendre le temps de regarder ce qui nous convient et tester;
  • Nommer notre fatigue et faire une liste de ce qu’on est encore capable de faire, des plaisirs on a, des moments qu’on passe avec son proche en dehors du rôle de proche aidant;
  • Se mettre la puce à l’oreille en apprenant à repérer les signes avant-coureurs. Cela veut dire s’observer dans notre quotidien pour détecter les signaux qui indiquent qu’il y a un changement dans notre équilibre et notre sentiment de bien-être. Quand « ça roule carré » et qu’on n'arrive plus à faire fonctionner la machine, il faut s’alarmer. Le but est de repérer les signes avant-coureurs avant que la situation ne dégénère trop!
  • Modifier le regard qu’on porte sur soi-même. Plus on le travaille, moins on a de risques de tomber. Cela me fait penser à une certaine personne proche aidante qui, dans un groupe de soutien, s’était fait dire qu’elle était au centre de tout et que si elle craquait, tout le système autour de son proche allait s’écrouler. Elle a trouvé cela tellement lourd à entendre!
  • Écrire des scénarios, en collaboration avec le proche, définissant avec précision quoi faire dans telle situation, selon notre rôle et nos limites. Par exemple, si telle chose se passe, nous prenons une marche. Si telle autre chose survient, je contacte ton psychiatre et t’accompagne à l’hôpital. Si tu as des symptômes, la nuit, je t’avise à l’avance que je vais passer le relais à un service d’urgence, parce que là est ma limite.

Propos recueillis par Karine Cloutier, chargée de projets aux communications à l’Appui pour les proches aidants. Un grand merci à Angéline Roy-Hébert pour ce dialogue et pour ses commentaires encourageants au sujet de la nouvelle section Santé mentale de notre site.

Formée en psychologie clinique, Angéline Roy-Hébert travaille depuis une vingtaine d’années en relation d’aide.

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