L'autobientraitance, une entrevue avec Sophie Éthier

23 Mai 2024

L'autobientraitance, une entrevue avec Sophie Éthier

Sophie Éthier est professeure titulaire et chercheure à l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval. Elle travaille depuis 2018 autour de la notion de bientraitance des personnes proches aidantes. Aujourd'hui, c’est de bientraitance envers soi-même, ou autobientraitance, dont nous discutons avec elle.

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Quelle est votre définition de la bientraitance?

Dans notre recherche, la bientraitance est définie comme une approche dans laquelle la personne est envisagée selon sa situation globale. En tenant compte de son expérience et de son expertise, on agit avec elle afin de contrer la maltraitance.

Est-ce un mot nouveau?

Le terme «bientraitance» a été utilisé pour la première fois en France dans les années 1990, dans le contexte des soins donnés aux enfants. Dans les années 2000, on a utilisé le mot en lien avec les aînés et personnes handicapées. «Bientraitance» est apparu dans le Larousse en 2013. Au Québec, on a commencé à l’utiliser en 2017. Il n’y a d’ailleurs pas d’équivalent en anglais.

La définition de «bientraitance» de l’Office québécois de la langue française renvoie à la vulnérabilité…

La bientraitance est souvent confondue avec la bienveillance. Être bientraitant, c’est nécessairement être bienveillant, avec quelque chose de plus. La bientraitance implique une action; c’est réfléchi et volontaire.

Les proches aidants sont-ils des personnes vulnérables? En travail social, la vulnérabilité fait davantage référence au processus et à la situation de vulnérabilité. Dans notre recherche, nous avons considéré que les personnes proches aidantes subissent de la maltraitance dans l’exercice de leur rôle; c’est ce que nous voulions mettre en lumière.

Les études montrent que la proche aidance peut mener à l’épuisement, à l’isolement, à la maltraitance, affecter l’état de santé et même l’espérance de vie. Pour moi, la proche aidance place dans une situation de vulnérabilité. Promouvoir la bientraitance peut contrer ce phénomène.

À quels défis de la proche aidance la bientraitance répond-elle?

Je pense que le principal défi de la proche aidance est sa reconnaissance et son autoreconnaissance. La pandémie a permis de mettre en lumière l’importance de ce rôle. Je pense qu’il faut surfer sur cette vague!

Selon moi, parler des proches aidants sous l’angle de la bientraitance donne un tout autre souffle. Maintenant, il y a un enjeu : parler de bientraitance ne doit pas occulter le fait que la maltraitance existe, ni qu’actuellement les ressources de soutien aux proches aidants manquent.

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Concentrons-nous sur la bientraitance envers soi-même. En quoi est-ce important?

Quand les proches aidants ne se reconnaissent pas comme tels, ils n’ont ni conscience de l’ampleur du travail qu’ils font, ni de l’énergie que ce rôle leur demande. Ils en subissent les conséquences sans même parfois avoir compris l’origine de leur épuisement.

La définition de la proche aidance insiste sur le caractère libre, éclairé et révocable du rôle. Or, dans la pratique, ce n’est pas toujours choisi. Quand tu mets au monde un enfant polyhandicapé, tu prends soin de cet enfant. Ce n’est pas toujours éclairé non plus; les gens ne savent pas toujours ce que la proche aidance implique, combien de temps elle durera et dans quelles conditions.

C’est là qu’on peut faire de l’éducation. Je pense que promouvoir l’autobientraitance, c’est expliquer aux proches aidants de respecter leurs limites et besoins. Vous n’avez pas le choix maintenant, alors pouvez-vous poser vos limites? D’autres membres de la famille peuvent-ils s’investir? Est-il possible de respecter vos besoins? Vous donnez-vous le droit de faire des erreurs? Pourriez-vous choisir de demander de l’aide?

Quels sont les indices qui nous disent que «nous nous bientraitons»?

Nous sommes bientraitants envers nous-mêmes quand nous constatons que ce rôle ne nous dépasse pas. Évidemment, c’est subjectif et variable d’une personne à l’autre. Quand je suis capable de nommer des aspects positifs de ma proche aidance et que j’évalue exercer mon rôle dans de bonnes conditions, c’est que je suis bientraitant envers moi. Sinon, c’est peut-être un rôle qui actuellement me dépasse. Suis-je fière de ce que j’ai accompli aujourd’hui? Au contraire, ai-je de l'insatisfaction à l’idée que j’aurais dû en faire plus? Est-ce que je ressens de la culpabilité de prendre du temps pour moi?

L’autobientraitance permet de continuer à être proche aidant dans de meilleures conditions physique et mentale. Et prendre tous les jours ne serait-ce que 10 à 15 minutes pour soi profite à tout le monde.

Un conseil pour les lecteurs qui cheminent dans l’autobientraitance?

Avoir suffisamment d’estime et d’amour pour soi-même. S’aimer, c’est être conscient qu’on a le droit d’exercer notre rôle de proche aidance dans la bientraitance. On la mérite!


Merci à Sophie Éthier pour cette conversation riche et dense. Et puis, à quand le verbe « (se) bientraiter » dans le dictionnaire?

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