Le besoin de se retrouver et de s’y retrouver des parents d’enfants avec déficience intellectuelle

04 mars 2025

Le besoin de se retrouver et de s’y retrouver des parents d’enfants avec déficience intellectuelle

Le mois de mars est ponctué par la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle. C’est l’occasion d’évoquer les besoins, services et immenses défis de proches aidants d’enfants vivant avec une déficience intellectuelle. Discussion avec Emmanuelle Richard, directrice générale de L’Entraide pour la déficience intellectuelle du Joliette Métropolitain inc. (L’Entraide) et sa collègue Elisabeth Richard, travailleuse sociale.

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Emmanuelle, quel soutien L’Entraide offre-t-il aux familles proches aidantes?

Depuis deux ans, des employés se dédient à un service de soutien aux parents qui vivent avec, ou s’occupent encore, de leur enfant ayant une déficience intellectuelle. L’Entraide existe depuis 1963. À l'origine, des parents se sont regroupés pour s'entraider. Ces dernières années, le besoin était là pour ces parents de se retrouver et d’avoir des services qui répondent précisément à leurs besoins spécifiques. C'est comme cela qu’est né ce projet, avec le soutien de l’Appui pour les proches aidants.

Elisabeth, quels sont les besoins spécifiques de ces proches aidants?

Je dirais que les parents proches aidants d’enfants vivant avec déficience intellectuelle ont besoin de se retrouver, et de s’y retrouver.

D’abord, se retrouver entre proches aidants, s’écouter, s'entendre, échanger, ventiler, se déposer. Il y a une sorte de co-développement qui se fait entre eux. Quand ils arrivent dans les groupes de parents, même s'ils ne se connaissent pas, ils se reconnaissent tout de suite. Au moment précis où ils s’assoient dans le cercle, sans même avoir donné de détails sur leur situation, il y a entre eux, immédiatement, une reconnaissance de leur histoire, de leur parcours, des enjeux, des défis du quotidien… J’en ai des frissons rien que d’en parler!

Ensuite, les parents ont un immense besoin de s’y retrouver dans la multitude de démarches à faire. Nous offrons donc de multiples programmes répondant à ces enjeux : accompagnement de groupe, soutien psychosocial individuel avec accompagnement ciblé, soutien aux démarches (sécurité du revenu, transport adapté, demandes d'hébergement pour l’enfant, préparation à l’avenir), activités, café-rencontres, etc.

Quels sont leurs défis, Elisabeth?

La proche aidance a généralement un début et une fin. Avec la déficience intellectuelle, les parents demeurent proches aidants toute leur vie. Avec la durée viennent épuisement, fatigue et usure. Ces parents se sont battus toute leur vie, en se sentant souvent seuls, pour toutes sortes de petits et grands combats : faire des démarches, ouvrir des portes, aller chercher de l'argent, trouver des services, avoir du soutien, recevoir du répit... Ils sont dans « le faire », dans une lutte permanente pour obtenir ce dont leur famille a besoin.

Hier, nous avions un groupe de quatre mères. L’une d’elle, âgée de 76 ans, vit avec son fils de 48 ans. Elle est exténuée : « Quand ils me demandent 5$ pour le transport adapté, je n’en peux plus, je perds patience. Je réponds d'une façon qui n'a pas d'allure, pour être désolée ensuite… » L’épuisement est là. Alors, s’entendre dire : « Je vais vous donner un coup de pouce pour vous soutenir » soulage énormément.

La discrimination à l’égard de la déficience intellectuelle est-elle aussi évoquée?

Emmanuelle : Les parents en déficience intellectuelle ont une grande résilience. Ils ne vont pas nécessairement aller défoncer toutes les portes et ont tendance à « s’en occuper, parce que c’est mon enfant ». Se reconnaître comme proches aidants est un long processus. Ils se voient comme parents avant tout.

Elisabeth : Accepter comme parent que j'ai besoin de soutien dans mon rôle, que toute ma vie je vais m'occuper de mon enfant et que je ne suis pas en capacité de tout faire… Comme parent d’enfant ayant une déficience intellectuelle, me reconnaître en tant que personne proche aidante est une forme de tabou. Certains parents nous parlent aussi de non-dit au sein de la famille : « J'en parle avec mes proches, mais j'ai l'impression de leur taper sur les nerfs. Personne ne peut comprendre ce que je vis. Et personne ne m'a jamais proposé de garder mon enfant ».

Elisabeth, qu’en est-t-il du passage à 18 ans de l’enfant?

Le passage à l'âge adulte de l’enfant ayant une déficience intellectuelle est une grande épreuve et un monde inconnu. S’ils ne sont pas accompagnés à cette étape par le CISSS, c'est difficile pour plusieurs de connaître ce qui peut leur être offert et ce qu'ils doivent mettre en place. Par exemple, ce n'est pas évident de savoir quand et comment s'y prendre pour avoir accès à l'aide sociale pour leur enfant majeur. Alors, L’Entraide marche à côté du parent pour l'accompagner dans tout ce qu'il a à faire et à comprendre à cette période de la vie. Nous avons des réactions extrêmement positives de la part des parents sur ce service.

Elisabeth, j’ai la programmation de vos activités de soutien aux proches aidants sous les yeux. Pouvez-vous m’en dire plus sur l’atelier sur « mon histoire de vie »?

Les parents sont invités, sans les enfants, à une rencontre visant à raconter leur histoire à travers une activité de collimage. Il y a quelque chose de précieux dans le fait de s'asseoir avec soi-même, d’écrire, de dessiner, de coller, de raconter notre histoire face à son enfant, comme s’il était là. Je pense que l’activité permet aux gens de positionner des moments marquants sur l’échelle de la vie. Les parents proches aidants, toujours, reviennent à la genèse : naissance de l’enfant, diagnostic, deuil, perte, souffrance. Relire ces événements est une façon de guérir et de s'inscrire dans un parcours.

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Emmanuelle, vous êtes directrice générale de l'Entraide depuis 21 ans. Comment la situation des proches aidants de personnes ayant une déficience intellectuelle a-t-elle changé?

Le trou béant concernant les enfants vivant avec une déficience intellectuelle après leur 21 ans a beaucoup évolué. Les parents dans le désarroi disaient : « on n’a aucune option! Que faire quand l’école va s'arrêter? » Face à cela, ces dernières années, le programme de la transition de l’école à la vie active (TEVA) a été créé, des activités de jours valorisantes ont été montées et l'importance des services offerts par le communautaire a davantage été reconnue, notamment dans Lanaudière. Il y avait un vide énorme; il fallait y répondre.

Nous avons d’ailleurs développé un plateau de travail et un centre de jour avec des ententes de service avec le CISSS. Environ 140 personnes par semaine fréquentent nos activités. Dans chaque MRC dans Lanaudière, il y a des services aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Chacun y va de sa programmation et de ses activités.

Vous savez, tout ça, c’est plus qu'un travail. Elisabeth et moi, nous sommes sœurs. Nos parents ont adopté deux enfants trisomiques. Notre frère et notre sœur fréquentent régulièrement les activités de L’Entraide. Ce qui me tient à cœur, c'est la qualité des services. Si c’est correct pour mon frère et pour ma soeur, alors c’est correct pour tout le monde.

Se reconnaître comme personne proche aidante pour ces parents a-t-il aussi changé au cours des années, Emmanuelle?

Oui, mais ça ne fait pas longtemps! Les programmes étaient concentrés sur la proche aidance auprès de personnes âgées. Tandis qu'au niveau de la déficience intellectuelle, les gens se considéraient comme des parents, non comme des proches aidants. Ces dernières années, le discours a changé; on nomme les choses autrement pour parler de proche aidance quand il s’agit de parentalité d’enfants vivant avec une déficience intellectuelle. Tout ne repose pas sur mes épaules de parent : comme parent, c’est ma responsabilité, et comme proche aidant, je peux me faire aider.

C’est bientôt la Journée mondiale de la trisomie et la Semaine québécoise de la déficience intellectuelle. Que reste-t-il à faire, Elisabeth?

Considérer les personnes vivant avec une déficience intellectuelle comme une charge pour la société revient à isoler les proches aidants. Plus la société reconnaît l'apport des personnes ayant une déficience intellectuelle, avec leur contribution complètement différente par rapport à nos standards de performance et de réussite, plus le rôle des proches aidants est reconnu avec toute sa plus-value. Autrement dit, quand une valeur collective est accordée à la déficience intellectuelle, des moyens sont déployés pour soutenir les proches aidants.

Merci à Emmanuelle Richard et Elisabeth Richard pour cette belle conversation, tenue à quelques jours de la Journée mondiale de la trisomie.

Le projet « Soutien aux familles proches aidantes » de L’Entraide est financé dans le cadre d’un appel de projets collaboratifs pour des services destinés aux personnes proches aidantes d’enfants ou d’adultes de moins de 65 ans lancé par l'Appui pour les proches aidants. Pour ce projet sur lequel Emmanuelle et Elisabeth travaillent avec leur collègue Marie-Christine Boucher, L'Entraide reçoit aussi un soutien du CISSS de Launaudière.

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