« Les familles et nous, on fait équipe »

28 septembre 2023

« Les familles et nous, on fait équipe »

Andrea Saragosti est travailleuse sociale dans l’équipe d’hématologie-oncologie et Pascal Bernier, infirmier clinicien en santé mentale et psychosociale. Avec Andrea et Pascal, tous deux œuvrant au CHU Sainte-Justine à Montréal, nous discutons de proche aidance dans le contexte du cancer pédiatrique.

28 septembre 2023
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Pascal, quelle est l’approche de Ste-Justine dans la manière de soigner l’enfant qui a un cancer?

Sainte-Justine a une approche très humanisante des soins, en plaçant le patient et sa famille au centre. Je crois que c’est la nature profonde de l’approche de la majorité des intervenants ici. Nous ne traitons pas la maladie, nous la soignons par une approche d’accompagnement et de résolution de symptômes. En hématologie-oncologie particulièrement, nous sommes très centrés sur les besoins des gens. Je pense que cette approche humanisante et décentrée permet d’offrir des soins de qualité.

Andrea, y a-t-il une approche spécifique à Ste-Justine dans la manière d'accompagner les parents qui s’impliquent auprès de cet enfant?

Le contexte historique veut que la santé de la mère et de l'enfant soit au cœur de l’offre de soins de Sainte-Justine, « centre hospitalier universitaire mère-enfant ». Aujourd’hui, les réalités sont très différentes et ont beaucoup évolué; c’est la relation parentale qui compte. Mais, en fait, je préfère parler de « famille », parce que c’est plus inclusif. Dans certaines situations, ce ne sont pas les parents qui sont impliqués ou les plus présents dans la trajectoire de soins de l’enfant atteint de cancer. On envisage donc l’ensemble de l'entourage de l’enfant et c’est cet ensemble que l’on va chercher à mobiliser. Ce qui veut dire partir des réalités de ces personnes, de leurs ressources et ensuite, s’il y a lieu, aller chercher des services complémentaires. Les familles ont besoin de nous et nous d’elles. C’est dans cet arrimage que nous arrivons à fonctionner en ayant tous le même intérêt : l’enfant. Les familles et nous, on fait équipe.

Lorsqu’un enfant a un diagnostic de cancer, comment cela se passe-t-il dans la prise en charge des parents et de la fratrie? Qu’est-ce qui s’enclenche? Quels sont les services et métiers impliqués?

Dès le diagnostic, beaucoup de choses se mettent en place, notamment dans la sphère médicale et infirmière, avec des examens et rencontres avec différents spécialistes pour préciser le diagnostic ou les retombées du diagnostic. L'annonce du plan de traitement représente souvent un second choc, de part l’intensité des traitements envisagés ou la durée prévue. Parfois, le plan de traitement s’échelonne sur des années, ou quelques mois. Parfois aussi, des hospitalisations prolongées sont nécessaires. Tout ceci a des répercussions et entraîne un certain degré de rupture dans le fonctionnement des familles. Le travail médical, infirmier, social et psychologique s’enclenche et permet d’épauler les familles dans ce qu’elles sont en train de vivre. Les questionnements sont nombreux, par exemple au niveau du travail. Comment m'organiser avec mon travail? Ai-je le droit de ne pas aller au travail demain matin? Nous sommes travailleurs autonomes, comment allons-nous faire pour payer nos factures? Toutes les familles qui font face à une annonce de cancer pédiatrique vivent plusieurs stresseurs. À ce moment-là, la meilleure personne pour répondre, c’est la travailleuse sociale!

Andrea, tu interviens donc à quel moment?

De plus en plus, dès l'annonce du diagnostic, la travailleuse sociale est présente. De façon générale, les travailleuses sociales interviennent d'emblée, au moins une fois. Ensuite, nous sollicitons tel ou tel collègue, selon les besoins identifiés. Chaque patient, chaque famille est envisagée à part, avec sa spécificité. Il n’y a pas « une » recette.

Je fais quoi? Je commence par où? C'est très confrontant. Une multitude de questionnements s’ajoute à une charge émotive mentale énorme. C’est intense pour l’enfant et pour la famille. Toute cette intensité, il faut l’accompagner! Ensemble, nous discutons de ce que nous décidons d’attaquer en premier. Parfois, il est possible de planifier en partie, mais ce n’est pas toujours si bien défini. La famille ne sait pas à quoi s’attendre et c’est anxiogène. Alors, nous lui tendons la main. On ne va pas d’un point A à un point B. Je dirais que ce sont plutôt des montagnes russes.

Les mots « proche aidance », « aidant », « personne proche aidante » sont-ils présents dans ce premier entretien, Andrea?

Oui, d’emblée ces mots sont utilisés, toujours. Mais je te dirais tout de suite que ceci peut représenter un défi, parce que cela fait porter un double chapeau aux parents : parent « et » proche aidant… C’est quelque chose que, là aussi, il faut accompagner. Quand la famille est à l'hôpital entourée par l’équipe, ça va. Mais, de retour à domicile, c’est une autre histoire…

Normativités sociales, pression sociale, vulnérabilités, tensions dans le couple, difficultés financières... Comment ces aspects sont-ils abordés avec les familles?

Andrea : Il y a beaucoup d’émotions rencontrées dans le parcours. Pour bon nombre de familles, la culpabilité est très présente. Alors, nous travaillons à déculpabiliser.

Pascal : Cette question me donne envie de parler d'identité. Dans l'expérience de proche aidance, les parents peuvent aussi se perdre entre leur rôle et leur identité. Au-delà d'être le parent proche aidant, qui je suis? J’étais une femme, un homme, un ami, tout ça s’est perdu dans l’expérience de la maladie de mon enfant…

Comment se fait le lien avec des services extérieurs au CHU dont ces parents confrontés au cancer de leur enfant pourraient avoir besoin, par exemple des services de répit, d’aide à domicile ou pour les aspects financiers?

Pascal : Ah, ça, c’est un défi! Le système de santé est une très grosse roue, dans laquelle il y a de nombreuses autres petites roues. Il n’est pas facile d’arrimer tous les services en même temps. À l’interne, nous sommes chanceux d’avoir accès à beaucoup de ressources, mais parfois il faut mettre en branle des ressources extérieures. Je pense par exemple aux familles qui habitent en région pour lesquelles il va falloir hébergement et transport. Tout est réalisable, mais il est souvent fastidieux de créer ces canaux de communication avec les autres ressources.

Andrea : N'oublions pas qu’au CHU Sainte-Justine, nous recevons des familles qui viennent de tout le Québec. Parfois nous relions des familles avec telle ou telle ressource, mais parfois aussi nous les encourageons à en chercher elles-mêmes sur place. Il peut m’arriver d’appeler des collègues travailleuses sociales, en Abitibi par exemple, pour discuter des ressources et collaborations possibles. Mais, nous manquons souvent de temps pour faire le lien avec les ressources communautaires. Alors oui, ça demeure un défi.

Pascal, une dernière question peut-être difficile : dans quelle mesure aider les parents à aider leur enfant atteint de cancer contribue-t-il au succès des soins?

Oh, question facile! Parent en détresse, enfant en détresse, et inversement. Si on est en mesure de bien accompagner les parents, on peut accompagner les enfants malades. Alors, c’est un meilleur succès dans les soins : dans l'acte médical en tant que tel, mais aussi le succès de la raison pour laquelle le soin est donné.

Les minutes sont précieuses pour Andrea Saragosti et Pascal Bernier. Un immense merci à elle et lui d’en avoir consacrées quelques-unes à cette émouvante conversation.

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