Mettre la lumière sur les jeunes proches aidants
Anne-Sophie Côté est travailleuse sociale à Deuil-Jeunesse. Son sujet de maitrise en travail social a porté sur les jeunes proches aidants, une réalité trop souvent méconnue.
Anne-Sophie Côté est travailleuse sociale à Deuil-Jeunesse. Son sujet de maitrise en travail social a porté sur les jeunes proches aidants, une réalité trop souvent méconnue.
J’ai terminé mon baccalauréat en travail social, en 2016. J’ai tout de suite commencé ma maîtrise sans but précis, par curiosité. Je me suis toujours intéressée aux gens à qui on ne s’intéresse pas! En fin de compte, mon choix s’est arrêté sur les jeunes proches aidants. Je savais que certains jeunes jouaient ce rôle, et je voulais que cette réalité soit connue. C’est l’université qui m’a fait entrer dans l’organisme Deuil-Jeunesse pour que je puisse mener à bien mon projet d’intervention, celui de réaliser un groupe de soutien pour jeunes proches aidants. J’ai tellement aimé cet organisme qu’une fois mes études terminées, on a décidé de continuer à travailler ensemble. Aujourd’hui, je suis intervenante à temps plein.
Le jeune proche aidant apporte son soutien à un personne malade ou à une personne qui a des incapacités. Je savais que, parmi les proches aidants, il y avait des enfants, des adolescents et de jeunes adultes… disons des jeunes de 7 à 18 ans. Pourquoi n’entendait-on pas parler d’eux? Cette absence m’a touchée. Je trouvais qu’ils devaient sortir de l’ombre.
En 2016, quand j’ai commencé mes recherches, je n’ai trouvé que peu de données sur les jeunes proches aidants, et elles provenaient du Royaume-Uni et de l’Australie. Au Québec, il y avait bien peu de choses. Maintenant, il y en a davantage!
Au départ, j'ai créé un groupe de soutien composé de jeunes proches aidants en deuil et de proches aidants d’un parent endeuillé. Deuil-Jeunesse est un organisme de bienfaisance qui œuvre auprès de jeunes qui vivent des deuils et différents types de pertes. Ce peut être le départ d’un proche, une séparation parentale, un abandon. Il n’est donc pas seulement question de la mort d’un proche. Si papa est décédé et que je vis seule avec ma mère qui est en dépression et en arrêt de travail, je me lève la nuit pour aller voir si elle dort et si elle est correcte. On peut alors considérer que je suis proche aidante.
Jusqu’à présent, personne ne s’est présenté à mon bureau en tant que « proche aidant ». Les jeunes ne se reconnaissent pas comme tels. J’essaie de travailler cet aspect avec eux, de les sensibiliser à leur rôle en mettant des mots sur leur réalité. Ils s’occupent de leur proche par bienveillance et par amour. Pour eux, c’est normal d’agir ainsi.
Oui. On l’assume souvent par instinct. Certains considèrent que ce rôle est peu naturel pour un jeune. Quand tu es la seule personne à pouvoir le remplir, quand c’est obligatoire, il devient peut-être plus stressant et plus difficile. Les jeunes n’en parlent pas trop, parfois pour préserver l’image de la personne qu’ils aident. Ils ne veulent pas que la personne malade ou atteinte ne soit définie que par sa maladie ou sa condition. C’est souvent flou, effectivement, ça se fait « comme ça ». C’est en entendant les autres jeunes parler de leur réalité que les jeunes aidants comprennent leurs responsabilités, leurs contraintes et leurs différences.
Il est possible pour eux d’avoir de l’aide, mais ils ne savent pas toujours qu’ils en ont besoin. On gravite autour de ces jeunes. C’est notre rôle d’adulte de les informer. Je pense aux professionnels de la santé et des services sociaux, mais aussi à l’école. Celle-ci doit les comprendre, les encourager à prendre soin d’eux et à demander de l’aide.
Dans notre organisme, on réserve le terme de deuil aux personnes dont un des proches est mort. Pour les autres cas, on parle de « perte ». De comprendre qu’ils ne sont pas seuls, de comprendre que leur vécu et leurs réactions sont normales rassure les jeunes. Comme Debbie Lynch-White le disait, il y a un flou à vivre une telle situation à leur âge. Ils se posent beaucoup de questions, ils se demandent si leurs réactions sont normales, combien de temps ça va durer, quels vont être les impacts à long terme. Ils ont besoin de sentir que leurs réactions sont normales.
Dans mon projet d’intervention, je n’ai réussi à recruter que quatre jeunes. Encore aujourd’hui, le recrutement pour ce groupe de soutien est difficile, parce que les jeunes ne se reconnaissent pas comme tels, les mots « proche aidant » ne leur disent rien. Les groupes sont là, ils sont ouverts, mais il n’y a pas d’inscription. Les interventions individuelles sont plus fréquentes.
Dans nos interventions, on encourage les jeunes à recourir à des membres de l’entourage pour les remplacer de temps en temps. On leur montre comment faire appel à des ressources pour se réserver du temps à eux, du temps pour socialiser avec des amis, comme les enfants et les jeunes le font. On leur donne aussi des trucs pour exprimer leurs émotions, extérioriser ce qu’ils ressentent. Les jeunes qu’on rencontre ne veulent pas arrêter de prendre soin de leur parent, ça fait partie d’eux, c’est important pour eux. Il s’agit alors de trouver un équilibre entre la vie normale d’un jeune et les responsabilités d’aidant.
Quand on leur dit qu’il sont proches aidants, on voit qu’il y a un relâchement, un soulagement. On le perçoit même physiquement. Entendre qu’il est normal de trouver ça lourd parfois, ça les apaise. Ce travail d’éducation et de sensibilisation est souvent très aidant; il facilite leur rôle de proche aidant.
Mes objectifs d’intervention étaient démesurés! Je voulais être dans les solutions. Aujourd’hui, mon objectif ne dépasserait pas la sensibilisation et l’éducation à la proche aidance. Donc, moins dans les solutions, davantage dans la prise de conscience…
La société doit parler de ces jeunes; nous devons tous reconnaître leur importance. Les écoles doivent être au courant. C’est un rôle qui apporte beaucoup aux jeunes. Certains pensent que le terme de « proche aidant » implique automatiquement quelque chose de difficile ou de négatif. J’ai l’impression qu’il faudrait revoir cette notion. Être content d’être proche aidant, c’est correct! Ça apporte beaucoup de beau.
Propos recueillis par Karine Cloutier, chargée de projets aux communications à l’Appui pour les proches aidants. Merci à Anne-Sophie pour ce dialogue!
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