Santé mentale : « ce que les proches aidants veulent avant tout, c’est garder le lien »

02 décembre 2024

Santé mentale : « ce que les proches aidants veulent avant tout, c’est garder le lien »

S’occuper d’un proche qui a des enjeux de santé mentale est difficile, au même titre que la proche aidance peut avoir un impact sur sa propre santé mentale. Regards croisés avec Maxime Savoie, intervenant psychosocial à Hébergement l'Entre-Deux et Marie-Ève Langlois, intervenante psychosociale au Carrefour en santé mentale pour les familles et l'entourage (CSMFE). Tous deux agissent dans l'agglomération de Longueuil et la MRC Marguerite-D'Youville auprès de personnes vivant des difficultés de santé mentale et de leur entourage.

02 décembre 2024
Marie-Ève Langlois Maxime Savoie - Carrefour en santé mentale pour les familles et l’entourage

Quels sont les défis des proches aidants de personnes ayant un trouble de santé mentale? Comment les aider?

Marie-Ève : Le sentiment d’impuissance est fréquent chez les proches aidants. Parfois, ils prennent les devants pour communiquer, mais ce n’est pas nécessairement ce que leur proche souhaite. Leurs tentatives de communication sont plus ou moins ajustées à leurs besoins et à ceux de leurs proches. Dans cette dynamique, déception et frustration sont des émotions courantes.

Lorsque nous les rencontrons, nous amenons les personnes à s’interroger. Quand ces mécanismes sont-ils bénéfiques ou moins bénéfiques? Quel est mon ressenti et quels mécanismes implique-t-il? Qu’est-ce qui appartient à l’autre, qu’est-ce qui m’appartient? Quelles sont les zones sur lesquelles je peux agir? Cette réflexion n’est pas facile, mais toujours, j’invite à garder le dialogue ouvert.

Maxime : Au départ, il y a aussi beaucoup d’incompréhension. Je ramène les personnes proches aidantes à elles-mêmes et au final elles réalisent que le comportement de l’autre n’est pas si nébuleux que ça. Investir en soi signifie déterminer ses besoins et les situations dans lesquelles je vais pouvoir me préserver. Qu’est-ce que je suis prêt à accepter? Ne pas se préserver, c’est risquer des problématiques de santé mentale pour soi et même risquer que notre proche nous fasse vivre ce qu’il vit.

Avoir des enjeux de santé mentale… et être ou devenir proche aidant. Est-ce un cas de figure que vous rencontrez?

Marie-Ève : J’observe que le rôle de personne proche aidante peut amener à développer des symptômes d’anxiété, d’hyper vigilance ou de stress. Souvent, les personnes arrivent au CSMFE en voulant parler de celui ou celle qu'elles soutiennent et trouver des solutions. Leur priorité est la personne soutenue.

Parfois, effectivement, des défis de santé mentale étaient déjà présents avant la proche aidance. Pour moi, l’idée est de toujours travailler avec une vision d’ensemble de la personne et de la situation dans laquelle elle est. Mon travail est de ramener le vécu de la personne proche aidante à l'avant. L'intervention vise à mettre en relief les besoins du proche aidant et le soutien nécessaire afin d'y répondre.

Le tabou entourant la santé mentale est-il présent? Quel est l’impact?

Maxime : Énormément. Les préjugés peuvent avoir de multiples conséquences. À force de soutenir la personne et/ou d’être avec elle, l’aidant peut aller jusqu'à le considérer comme étant « le » trouble de santé mentale. Notre intervention vise alors à amener le proche aidant à distinguer la personne derrière le trouble. Il arrive aussi que les proches aidants vivent eux-mêmes de la stigmatisation. Parfois, il y a une confusion dans les rôles : je suis proche aidant, mais je me sens peut-être responsable en tant que parent d’avoir fait quelque chose qui aurait pu provoquer le trouble de santé mentale de mon enfant.

Marie-Ève : Les familles ont souvent le souci de ne pas trop parler de santé mentale à l’extérieur de la cellule familiale; elles ressentent beaucoup de jugement. Avec les familles, je travaille à déconstruire les stéréotypes, les étiquettes et les images associés aux troubles de la santé mentale. Nous offrons des groupes de partage amenant une forme de solidarité entre proches aidants et un espace où partager sans jugement. C’est souvent un soulagement : « ah, d’autres vivent des choses qui ressemblent à ma réalité! »

Parlez-moi de vos emplois et de votre dynamique de travail

Maxime : Je suis employé de Hébergement l'Entre-Deux, situé à Longueil. C’est un service d’hébergement pour des femmes vivant des difficultés de santé mentale, par exemple trouble de la personnalité limite, anxiété ou dépression. J’interviens auprès des personnes concernées. Marie-Eve, elle, travaille au CSMFE et intervient à ce titre auprès de l’entourage. Depuis un an, Marie-Ève et moi travaillons à un projet collaboratif entre les deux organismes.

Marie-Ève : Oui, le titre du projet est « Un dialogue ouvert pour des liens plus forts ». Le but est de consolider les liens entre les proches aidants et les personnes ayant un enjeu de santé mentale. Maxime et moi avons des rôles complémentaires. Je m’occupe de l’entourage. Quand les familles viennent me voir, nous explorons ensemble les dynamiques relationnelles, leurs attentes dans cette relation et les bases de la communication : le dialogue, l’ouverture, la relation à l’autre. Il y a chez ces familles la grande volonté de garder un lien avec leur proche. Tous les efforts déployés vont dans ce sens : avoir et conserver le dialogue.

Marie-Ève Langlois Maxime Savoie - Carrefour en santé mentale pour les familles et l’entourage2

Qu’est-ce qui a changé pour les proches aidants?

Marie-Ève : Le projet a commencé en 2023. Nous avons fait connaître la possibilité de créer des rencontres familiales, ce qui n’avait jamais été fait ici. Il y a de plus en plus de demandes! Dans un premier temps, la famille fait quelques rencontres avec moi, pendant qu’ont lieu des rencontres individuelles entre Maxime et la personne qui a des difficultés de santé mentale. Maxime et moi ne nous partageons pas ce qui est de l’ordre de la confidentialité. Quand tous se sentent prêts, les réunions débutent. Nous y prenons part, en soutien, pour ouvrir le dialogue. On l’aime, ce projet-là! J’espère que ça paraît!

Qu’est-ce qui est novateur dans ce projet?

Marie-Ève : Cela fait du sens que nos organismes collaborent dans ce projet ensemble. L’idée est d’amener tout le monde dans le dialogue : proches aidants, personnes avec enjeu de santé mentale, intervenants.

Maxime : Avec ce projet, je trouve extraordinaire de pouvoir mettre tout le monde dans la même pièce, puis, par le dialogue, de mettre en lumière les dynamiques existantes. Par exemple, une personne peut avoir l’impression d’exprimer ses besoins, sans que ce soit clair pour l’autre. Autre exemple, le trouble de la personnalité limite, un trouble axé sur les dynamiques relationnelles et sociales qui dépend beaucoup du contexte de vie. Ici, il faut absolument impliquer l’entourage dans l’intervention.

Qu’avez-vous appris?

Maxime : Le mot qui me vient en tête est « collaboration ». Avec ce projet, c’est la première fois que je travaille avec l’entourage des personnes atteintes. J’ai compris combien les familles sont démunies du fait d’un manque de connaissances sur la santé mentale. J’ai vu combien elles tiennent à garder un lien avec leur proche. J’ai appris qu’au fond, la santé mentale est « le problème de tout le monde » : il faut travailler tous ensemble.

Marie-Ève : J’ai appris l’importance de l’ouverture à l’autre et de l’accueil de l’autre. J’ai aussi compris l’importance du contexte et de l’atmosphère du lieu pour les rencontres organisées. J’ai réalisé que, oui, la communication est nécessaire, mais que la transparence et la bienveillance sont tout autant essentielles.

Merci à Maxime Savoie et Marie-Ève Langlois pour leur partage enthousiaste et oui, ça paraît qu’ils l’aiment, ce projet-là! « Un dialogue ouvert pour des liens plus forts » est financé dans le cadre d’un appel de projets collaboratifs pour des services destinés aux personnes proches aidantes d’enfants ou d’adultes de moins de 65 ans lancé par l'Appui pour les proches aidants.

Pour une aide immédiate, appelez la ligne de prévention du suicide 1-866-APPELLE (277-3553), Info-Social 811 ou un des centres de crise du Québec.

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