« Si ma fille Juliette n'était pas là, je ne serais pas la même personne »

02 novembre 2023

« Si ma fille Juliette n'était pas là, je ne serais pas la même personne »

Boris Mayer-St-Onge est père de trois enfants. Avec ce professionnel impliqué en recherche et en enseignement à l’Université Laval, nous discutons de Juliette, 17 ans, qui a des limitations fonctionnelles, de la vie de famille et d’un sujet qui lui tient beaucoup à cœur : l’atteinte des 18 ans des enfants avec des besoins particuliers.

Juliette et Boris Mayer-St-Onge

Boris, pouvez-vous nous présenter votre famille?

Je suis le père de trois enfants : Juliette, bientôt 18 ans, a plusieurs besoins particuliers. Loïc a 14 ans et Delphine vient de rentrer en secondaire 1. À 12 ans, elle est d’une aide incroyable pour sa sœur. Entre les deux sœurs, il y a un lien très fort. Delphine fait des choses qu'on ne lui a jamais demandé de faire. Loïc et Delphine grandissent dans cette famille dans laquelle une enfant avec des besoins particuliers est présente; je trouve que c'est une richesse et apporte un autre regard sur la vie. Et bien sûr, il y a ma conjointe Brigitte Robichaud.

Quelle est la situation de Juliette?

Pendant la grossesse, le bébé prenait peu de poids. Nous étions suivis de près, mais les médecins ne trouvaient rien d’anormal. Tout était beau, y compris l'amniocentèse. Mais dès son très jeune âge, il y a eu des retards dans son développement. La cause génétique a été trouvée quelques années plus tard. Le problème génétique était une microdélétion chromosomique.

Si Juliette n’a pas de maladie comme telle, elle a plusieurs diagnostics liés à ses incapacités : trouble du spectre de l’autisme, déficience intellectuelle moyenne, dyspraxie motrice et verbale de modérée à sévère et TDAH. Juliette est toujours de bonne humeur, elle a constamment le sourire aux lèvres, elle est joyeuse… C’est une enfant incroyable!

Quelles sont les implications sur le quotidien de votre famille?

Juliette a le niveau cognitif d’un très jeune enfant. Cela implique beaucoup de suivis, de prendre soin d’elle à tous les niveaux, notamment de l’hygiène, de l'alimentation ou des comportements en société. Pour les déplacements, ça va bien, elle est capable de marcher de courtes périodes sur des surfaces pas trop accidentées et de monter des marches. Elle parle de plus en plus, mais il faut être habitué pour comprendre ce qu'elle dit! Au niveau de la motricité fine, c’est difficile; elle peine à écrire son nom. Il faut donc constamment s'occuper d’elle. Et Juliette dort bien, ce qui est un répit pour nous!

Va-t-elle à l’école?

Oui, depuis ses 4 ans! À cet âge, toutes les sphères de son développement étaient affectées et elle ne parlait pas. Comme Juliette avait des troubles sévères du langage, on l’a fait entrer à l’école Joseph-Paquin où tous les enseignants utilisent le français signé : la maternelle 4 ans avant que ce ne soit à la mode! Nous avions donc pris des cours de français signé pour pouvoir communiquer avec elle et éviter qu’elle ne se renferme sur elle-même.

Cette école accueille des élèves de 4 à 21 ans. Dans ces écoles ayant des mandats spécialisés, les élèves ne terminent pas avec un diplôme et ils sont scolarisés jusqu'à 21 ans.

Aux 21 ans de Juliette, nous allons avoir un gros enjeu. Enjeu que d’autres familles vivent plus tôt. Il faut distinguer la fin de la scolarisation de l’enfant, qui peut parfois arriver au moment de la majorité, et la fin de la scolarisation. Bientôt, nous allons nous intéresser au sujet de la transition de l'école vers la vie active. Nous ne savons pas encore comment cela va se décliner, mais il y aura beaucoup de choses à faire.

Avez-vous de l’aide à domicile, du répit ou d’autres services?

À domicile, pas actuellement. Nous avions accès à un programme via l’Association pour l'intégration Sociale de Québec, pendant régional de la Société québécoise pour la déficience intellectuelle. L’AISQ a récemment mis en place un service de répit à domicile donné par des étudiants au niveau universitaire ou collégial. C’était super. Mais, tout doit être planifié d’avance; deux fois par mois, il faut remplir une fiche avec nos besoins pour les deux prochaines semaines pour la garde de Juliette ou des trois enfants. Le répit à brûle-pourpoint, ou simplement pour aller chercher Juliette à l’école, c'est vraiment plus difficile à avoir. Je comprends que ce n'est pas facile à mettre en place pour les organismes. Nous réussissons annuellement à avoir quelques répits de fin de semaine avec d’autres organismes.

J’entends souvent parler du guichet d’accès DI-TSA-DP pour les demandes de services…

En effet, nous avons une travailleuse sociale, associée à Juliette, au guichet d’accès de la Capitale-Nationale. Nous faisons notamment affaire avec elle pour mettre en place un plan financier de répit pour les camps d’été et quelques fins de semaine de répit par année. C’est le programme Répit aux proches aidants (RAPA). Nous avons toujours réussi à nous organiser passablement bien avec différents organismes de la région de Québec pour les répits de fin de semaine, notamment La Maison des Petites Lucioles et Autisme Québec.

La situation de Juliette vous a-t-elle amené à vous interroger sur votre capacité de papa?

Si Juliette n'était pas là, je ne serais pas la même personne. Avant, je n'avais jamais côtoyé d'enfants avec des besoins particuliers. Ce monde m'était inconnu, je n'aurais pas su comment interagir et j'aurais été mal à l'aise. Avec elle, les premières semaines n'étaient pas différentes d’un autre bébé. Elle n’est pas née avec un gros handicap, mis à part son petit poids. Puis, avec ses limitations, il a fallu s’adapter et tout ça s’est fait progressivement. Je ne me suis jamais questionné sur mes capacités de père. Je suis ingénieur de formation, j’ai travaillé 15 ans en recherche avant d’enseigner. En ingénierie, tu as un problème, tu trouves une solution en utilisant la boîte à outils, les ressources à ta disposition et ta créativité. J’ai appliqué cette façon de faire à mon rôle de parents d’une enfant à besoins particuliers.

Dans un balado de l’Appui pour les proches aidants, une mère dit : « On est le parent, on ne se voit pas comme proche aidant. On ne voit pas qu’on déborde de notre rôle de parent. » Votre réaction?

Je suis tout à fait d’accord avec ça, surtout quand l’enfant est mineur et encore aux études. Juliette est encore dans le cheminement scolaire; je m'identifie comme parent de cette fille, même si elle a des besoins particuliers. Le jour où elle ne fera plus les activités des jeunes de son âge, après 21 ans, là, j’ai l’impression que je me considérerai également comme proche aidant.

Que se passe-t-il pour ces enfants avec un handicap qui approchent les 18 ans?

Même si ma fille n’en est pas capable, les gouvernements considèrent que la personne, le jour de ses 18 ans, est apte à exercer tous ses droits civiques, financiers, légaux, etc., sans égard aux diagnostics et handicaps qu’elle a.

Comme parents, nous n’avons plus aucun droit sur cette personne, devenue apte à exercer ses droits… sans en être capable du fait de ses limitations. Il faut alors faire beaucoup de démarches légales, financières et auprès des services sociaux, notamment pour protéger la personne et nous protéger.

Qu'est-ce qui est le plus difficile à l’approche des 18 ans de Juliette?

L’élément le plus complexe est la mise en place d’un régime de protection. Une médecin et une travailleuse sociale doivent faire des rapports; beaucoup de questions sur les capacités de l’enfant nous sont posées.

Pour moi, le passage aux 18 ans de Juliette est un défi intellectuel : nous faisons nous-même le régime de protection, sans passer par un notaire ni aucune aide juridique. Notre cas est simple, sans zone grise, notre famille va bien, il n’y a pas de dispute et l’incapacité totale et permanente de Juliette est claire. C’est plus d’ouvrage, mais nous apprenons tellement dans ce processus! Il reste qu’il faut faire beaucoup de démarches. Émotivement, ça peut être difficile parce qu’il faut nommer des tuteurs remplaçants et créer un conseil de tutelle.

Vous avez le projet de développer un site Web dédié à l’enfant à besoins particuliers qui devient majeur. Pourquoi?

Nous voulions nous préparer pour les 18 ans de Juliette, notamment connaître l’impact financier de ce passage. Les allocations familiales, l’aide financière de derniers recours; Juliette a des contraintes sévères à l’emploi.

Je me suis rendu compte que pour des familles à faible revenu, la perte financière liée à l’atteinte de la majorité de leur enfant peut aller au-delà de 20 000$. C’est énorme! Au fond, il faut budgéter le passage aux 18 ans. Je cherchais sur Internet, je ne trouvais pas d’informations. Je me suis mis à collecter pleins d’informations : santé sociale, revenu, crédit d’impôts, régime de protection, chèque emploi-service… À force de chercher et trouver des éléments pour nous préparer, je me suis dit : je ne peux pas laisser toutes ces informations dans mon tableur! Il faut que tout ça soit partagé! Quand j’ai eu l’idée du site Web, je suis allée voir des écoles spécialisées dans la région de Québec en proposant de faire des présentations aux parents et témoigner de la documentation que j’avais trouvée. À la première rencontre, il y a eu 75 inscriptions! Il y a un besoin, c’est clair.

Le site Web expliquera les enjeux et proposera une ligne du temps avec les différentes étapes à réaliser pour le passage à la majorité de l’enfant. Certaines démarches doivent commencer dès 14 ans et entre 17 et 18 ans, il y a en beaucoup. J’espère que ce site Web sera d’une grande utilité, pourra aider et faire une différence pour les familles qui ont des enfants avec des besoins particuliers.

---

Merci à Boris Mayer-St-Onge pour ses réponses détaillées et son temps précieux consacré à cette conversation.

Parents aidants

Le site internet est en préparation, il devrait être disponible en 2024.

east Parents aidants | Cap 18 ans

Pour en savoir plus

Cet article vous a plu?

Abonnez-vous à l’Appuilettre, l’infolettre des personnes proches aidantes et recevez, chaque mois, témoignages, dossiers thématiques ou entrevues.

east Abonnez-vous à l'Appuilettre
close

Besoin de parler?

Contactez Info-aidant pour de l'écoute, de l'information et des références.

Tous les jours de 8 h à 20 h

info
call  Info-aidant :  1 855 852-7784
Clavardage en direct