Ton rendez-vous médical, Papa, à quelle heure déjà?

28 septembre 2023

Ton rendez-vous médical, Papa, à quelle heure déjà?

Certains entrent dans la proche aidance par choix, sans même se questionner. Pour d’autres, ces choix ne sont pas si évidents, et ils se retrouvent face à des dilemmes, surtout lorsque la situation s’étire dans le temps et que leur rôle s’intensifie.

Karine Cloutier, de l’équipe de l’Appui pour les proches aidants nous livre une réflexion personnelle sur la proche aidance, mais aussi sur ses contours et limites et sur le droit de réajuster, à tout moment, ses choix et ses décisions.

28 septembre 2023
Karinetsonpapa

C'était en 2003. La mère de mon amie Claire avait commencé à être malade. Elle avait besoin d’aide, de soutien, de présence. Claire avait été là pour elle.

À cette époque, ni Claire ni moi n'étions familières avec le terme « proche aidante ». Je ne savais pas précisément ce que cela signifiait. De son côté, Claire l’avait su plus rapidement qu’elle ne l’aurait souhaité.

Quand, à l’époque, Claire m’avait fait part de sa situation, je me rappelle avoir été frappée par ses propos. J’ai oublié les mots exacts qu’elle avait employés, mais en substance mon amie avait décidé de délimiter le soutien apporté à sa mère. Dès le départ. Par exemple, elle se donnait le droit de ne pas aller à tous ses rendez-vous.

Je me souviens de ma réaction. J'avais été troublée par l'idée d’établir une démarcation dans une relation d’aide. À l'époque, je pensais que la seule réponse valable envers un parent vulnérable était un soutien inconditionnel. Ce parent nous avait élevés et avait été présent pour nous, malgré les possibles failles dans notre relation. À mes yeux, le simple fait qu'il soit notre parent justifiait un sacrifice. Il ne pouvait pas y avoir de délimitation.

Le temps a passé depuis. Je suis devenue mère, Claire a bâti une brillante carrière. Sa mère est décédée. Notre amitié est restée intacte. Je n’ai toujours pas été confrontée à une situation de proche aidance. Mais je comprends maintenant que tant qu'on n'a pas vécu cette expérience, il est difficile d'en saisir l'ampleur et délicat de poser des jugements.

Mes parents ont vieilli. La santé de mon père décline. Il évite d’en parler, tout comme moi d'ailleurs. Notre relation s'est effritée, nos rencontres sont rares. Je pense souvent à lui. Je l’appelle peu. La culpabilité est là. Je me juge. J’anticipe.

Je serai proche aidante. Dans deux ans, dans cinq, peut-être plus tard. Je serai toujours maman, encore professionnelle, amoureuse sans relâche, curieuse de la vie à toute heure.

Alors, j’appellerai Claire.

J’appellerai Claire, pour lui dire que la compassion et l’altruisme sont des valeurs importantes pour moi.

J’appellerai Claire. Elle me parlera de sa maman. Elle me rappellera l’amour, les petites joies, les moments cocasses, les limites, la démarcation.

J’appellerai Claire pour lui parler de la pression sociale, des jugements hâtifs, des attentes de la société, de ce que je crois devoir faire.

J’appellerai Claire. Elle me dira que je peux accompagner mon père selon mes capacités, mes ressources et mes convictions. Que je peux tracer les contours de ma proche aidance.

J’appellerai Claire pour lui dire que mon père a été présent et a influé sur ma vie, contribuant à forger mon identité. Je sens que je lui dois ça.

J’appellerai Claire. Elle me dira qu’en tout temps, j’ai le droit de revoir mes choix, de réajuster mes décisions, de demander de l’aide pour moi-même.

J’appellerai Claire pour lui dire mon sentiment de culpabilité. Pour qu’elle me rappelle que j’ai ma propre histoire, mon vécu, mes aspirations et que rien ne m’oblige à me sacrifier.

J’appellerai Claire. Elle saura trouver les mots si elle voit que je mets à mal des pans de ma vie. Elle m’aidera à être bienveillante envers moi-même.

J’appellerai Claire. Nous parlerons de liberté et de choix. De limites. De jugements. De contraintes sociales. De la société québécoise face à la vieillesse et à la maladie.

Puis, j’appellerai mon père. Ton rendez-vous médical, Papa, à quelle heure déjà?

Je m'appelle Karine Cloutier, je suis conseillère au développement régional à l'Appui pour les proches aidants. Un jour, je serai proche aidante.

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